Le contraste simultané

Deux couleurs juxtaposées peuvent-elles s’influencer, et si oui comment ? C’est que nous vous proposons de découvrir à travers une série d’illustrations. Les couleurs dont nous chercherons à suivre les transformations étant regardées en même temps, nous parlerons de contraste simultané, par opposition au contraste dit successif qui se manifeste quand on regarde successivement deux images (voir la page d’expériences sur les images rémanentes).

Matériel et protocole

Cette page se présente comme une succession d’observations, avec à chaque fois une question suivie par une analyse précisant « ce que vous auriez dû voir ». Il sera donc important, pour ne pas être influencé, de vous faire une opinion personnelle avant de lire les « réponses ».

Pour la première série d’expériences, il sera utile de disposer d’un tube opaque de petit diamètre (quelques centimètres). Ce tube permettra de regarder avec un seul œil une partie très réduite de votre écran, pour isoler une couleur de son environnement. Vous pourrez utiliser par exemple un carton d’essuie tout, à condition d’adapter la taille de l’image à son diamètre (sur ordinateur, vous pouvez utiliser CTRL+ et CTRL- pour modifier la taille d’affichage à l’écran), ou fabriquer un tube en roulant une feuille (de préférence de couleur sombre) et en adaptant son diamètre à la taille de l’image.

Attention : le rendu des couleurs, et donc vos observations, pourront varier légèrement d’un écran à l’autre. Si vous utilisez un téléphone portable, pensez à l’utiliser en format paysage (écran orienté horizontalement) afin d’agrandir la taille des illustrations.

Première série d'expériences : influence d'un fond « neutre »

Pour commencer, regardez le disque gris sur fond noir et sur fond blanc. Que constatez-vous ?

Vous devriez voir que le disque gris paraît plus clair sur fond noir que sur fond blanc, alors qu’il est en réalité le même dans les deux cas (même codage RVB). Si vous isolez le disque gris de son environnement, en le regardant à travers votre tube opaque placé contre votre écran, vous finirez peut-être même par le voir blanc.

Que se passe-t-il à présent si vous renouvelez l’expérience en remplaçant le disque gris par un disque de couleur marron ?

Vous devriez voir que le disque marron paraît plus lumineux, presque orange, sur fond noir. Si vous l’isolez de son environnement en le regardant à travers votre tube opaque, vous finirez sans doute par voir la couleur saturée représentée ci-dessous. En termes de codage colorimétrique, le marron est en effet un orange dont on a baissé la luminosité (codage du marron ci-dessus : R = 138, V = 53, B = 0 ; codage du orange ci-dessous : R = 254, V = 97, B = 0). Ces expériences montrent que le marron, comme le gris, fait partie des couleurs qui n’existent que par contraste avec les couleurs qui l’entourent !

Sur l’image ci-dessous, une série de sept rectangles ayant la même luminosité mais des tonalités différentes est représentée sur trois fonds différents : à gauche un fond blanc, à droite un fond noir, et au centre un fond gris de même luminosité que les rectangles. Les rectangles sont, de haut en bas, de couleurs gris-bleu, gris-vert, gris-rouge, gris-cyan, gris-jaune, gris-magenta et gris neutre. Que constatez-vous ?

Comme nous l’avons déjà vu sur les illustrations précédentes, les rectangles paraissent plus lumineux sur fond noir que sur fond blanc. Mais c’est sur le fond gris qu’un nouvel effet spectaculaire se produit : alors que les tonalités sont difficiles à identifier sur les fonds blanc et noir (tous les rectangles semblent quasiment gris), elles sont clairement visibles sur ce fond gris. On voit (de haut en bas) des rectangles bleu, vert, rouge, cyan, jaune et magenta, dont les couleurs paraissent presque saturées (le dernier rectangle en bas n’est pas visible sur fond gris, puisqu’il est du même gris !). On peut expliquer ce phénomène par le fait que la composante grise de ces couleurs s’efface car elle est commune avec le fond, ce qui fait ressortir les différences de tonalité.

Deuxième série d'expériences : influence d'un fond coloré sur du gris

Intéressons-nous à présent à la situation inverse, où un objet gris est placé sur un fond coloré.

Regardez attentivement le rectangle dans l’image de gauche ci-dessous, placé sur un fond de couleur cyan. De quel rectangle isolé sur fond blanc à droite se rapproche-t-il le plus ?

Vous devriez trouver qu’il se rapproche le plus du troisième rectangle en partant du haut, qui est un rectangle gris-rouge, alors que son codage RVB correspond à un gris pur (R = 175, V = 175, B = 175). C’est le même codage que le rectangle en bas à droite, qui apparaît bien gris sur fond blanc.

Si on place à présent ce même rectangle gris sur un fond jaune, de quel rectangle isolé sur fond blanc se rapproche-t-il le plus ?

Vous devriez trouver qu’il se rapproche le plus du premier rectangle en partant du haut, qui est un rectangle gris-bleu. Ces deux expériences montrent qu’un fond coloré induit sur un rectangle gris la couleur qui lui est complémentaire (voir cette vidéo après 3min50s pour d’autres couleurs).

Troisième série d’expériences : influence d’un fond coloré sur un objet coloré

Intéressons-nous enfin au cas où un objet coloré est placé sur un fond coloré.

Comme précédemment, identifiez de quel rectangle isolé sur fond noir le rectangle placé sur un fond bleu se rapproche le plus ?

Vous devriez voir qu’il se rapproche le plus du rectangle du haut, qui est de couleur magenta-jaune, alors que son codage RVB est celui d’un magenta (R = 255, V = 0, B = 255), comme celui du rectangle central. Le fond bleu a donc induit une teinte jaune (couleur complémentaire du bleu) sur la perception de la couleur du rectangle magenta.

Regardez à présent attentivement l’illustration ci-dessous. Que constatez-vous ?

Cette illustration montre un double contraste entre les deux séries de disques concentriques, avec des effets sur les luminosités et les tonalités. Le disque orange placé sur le disque rouge paraît à la fois plus clair et plus jaune que quand il est placé sur le disque jaune (les deux disques orange ont le même codage RVB).

Discussion

Toutes ces observations démontrent que oui, deux couleurs juxtaposées s’influencent mutuellement. Une couleur doit donc être considérée dans son contexte, et certaines couleurs, comme le marron ou le vert-olive, n’existent que par contraste avec leur environnement. Michel-Eugène Chevreul, chimiste français, énonça en 1839 dans son ouvrage « De la loi du contraste simultané des couleurs et de l’assortiment des objets colorés » la règle suivante : « Dans le cas où l’œil voit en même temps deux couleurs contigües, il les voit les plus dissemblables possibles ». C’est ce que nous avons pu constater sur les illustrations précédentes, où les modifications des couleurs concernent à la fois leur luminosité (contraste de clarté) et leur tonalité (contraste chromatique). Une couleur placée sur un fond plus sombre qu’elle-même s’éclaircira. Un fond coloré induira la couleur qui lui est complémentaire. On notera que certains auteurs associent derrière le mot « complémentaire » les couleurs antagonistes rouge/vert et jaune/bleu, là où nos expériences suggèrent plutôt d’associer le rouge avec le cyan et le vert avec le magenta.

L’explication de ces phénomènes, connus depuis longtemps des artistes, a fait l’objet au 19ème siècle de nombreux débats entre les partisans d’une altération de la sensation (origine physiologique) et ceux partisans d’une altération de l’appréciation (origine psychologique). On peut comprendre au moins qualitativement les changements de couleur observés sur les expériences précédentes en supposant que la sensibilité de chaque famille de cône décroît quand l’intensité de la stimulation sur la totalité de la rétine augmente (règles dites de Von Kries). Ainsi, un fond coloré bleu suffisamment étendu, en stimulant intensément un grand nombre de cônes bleus, baisse la sensibilité de tous les cônes bleus de la rétine. Les cônes vert et rouge sont ainsi plus sensibles en valeur relative, ce qui explique la couleur complémentaire jaune (synthèse additive du rouge et du vert) induite sur un objet placé sur un fond bleu. D’après les spécialistes, des mécanismes neuronaux localisés au niveau de la rétine (adaptation des canaux antagonistes rouge-vert, jaune-bleu et noir-blanc) et dans le cortex seraient également impliqués. Le phénomène des ombres colorées que nous vous invitons à découvrir sur cette page serait une autre manifestation spectaculaire de ces effets de contraste simultané.

Pour aller plus loin

Quand les scènes et les images comportent plus de formes et de couleurs que sur les illustrations précédentes, les effets de contrastes se manifestent de façon plus complexe. La page d’expériences sur la constance des couleurs montre par exemple comment une composition chromatique variée permet aux différentes couleurs de rester identifiables quand la composition spectrale de l’éclairage change. Sur l’illustration ci-dessous, où des motifs de petites tailles se répètent, vous observez peut-être que la couleur des rectangles rouges a tendance non pas à s’éloigner, comme le prédiraient les lois du contraste simultané énoncées précédemment, mais au contraire à se rapprocher de celle des rectangles jaunes ou magenta qui les entourent (autrement dit : les rectangles rouges entourés de jaune paraissent plus orangé que ceux entourés de magenta). On parle dans ce cas d’assimilation des couleurs juxtaposées. Dans la limite où les motifs deviennent tellement petits qu’on ne peut plus les distinguer, c’est un véritable mélange optique qui se produit et la couleur résultante suit les règles de la synthèse additive des couleurs.

Mentionnons pour finir les illusions de White (ici dans leur version colorée) où les différences de clarté et de tonalité observées entre les carrés bleus clairs (qui ont tous le même codage RVB) ne s’expliquent pas par les lois du contraste simultané énoncées précédemment. Des mécanismes plus complexes sont en jeu, comme des groupements de formes par notre cerveau.