Nommer les couleurs

Pouvoir nommer les couleurs est un préalable indispensable à toute activité sur les couleurs, et la lecture des pages de notre site n’échappe pas à la règle. Mais comme nous allons le voir dans cette page, cette tâche n’est pas sans soulever des difficultés. Et si de nombreux noms de couleurs sont entrés dans le langage commun, leur signification peut être très variable d’une personne à l’autre.

Papiers origami colorés

Noms donnés aux huit couleurs principales

Les huit couleurs de base : cyan, magenta, jaune, rouge, vert, bleu, noir et blanc

Les huit couleurs représentées par ces huit carrés sont les couleurs fondamentales que vous retrouvez régulièrement sur les différentes pages de notre site. Elles regroupent les couleurs primaires et secondaires des synthèses additives et soustractives, ainsi que le noir et le blanc.

Pour prendre conscience de la difficulté qu’il peut y avoir à associer un nom à une couleur, montrez l'image de ces huit carrés sans les noms à plusieurs personnes autour de vous, et demandez-leur de les nommer.

 

Elles tomberont certainement d’accord pour les carrés jaune, vert et rouge. Mais les choses se compliqueront probablement quand il faudra nommer les carrés bleu et cyan. Vus séparément, on pourrait les nommer « bleu » tous les deux. En effet, dans son utilisation courante, le nom « bleu » désigne un champ chromatique très large qui comprend ces deux couleurs. Or il est très important, notamment pour pouvoir comprendre les règles de mélange des couleurs, de bien les distinguer, et donc de les nommer différemment. Les personnes autour de vous utiliseront alors probablement les termes de bleu foncé ou bleu marine pour le carré que nous nommons ici simplement « bleu », et bleu clair, bleu turquoise ou bleu ciel pour le carré cyan, illustrant l’imprécision que recouvrent souvent les noms de couleurs.

On rencontre la même difficulté pour le magenta, couleur qu’il est indispensable de bien distinguer du rouge. Cette couleur sera couramment qualifiée de fuchsia, ou même de rose, le rose étant en réalité un rouge pâle, donc une couleur assez différente de celle représentée ici.

Signification variable du nom magenta en peinture

Pour ne rien arranger, même chez des spécialistes de la couleur, comme par exemple les fabricants de tubes de peinture, une même couleur peut porter des noms différents (magenta, rouge magenta, ou encore rouge primaire) et un même nom peut désigner des couleurs différentes (voir les différents tubes nommés magenta sur l'image). Dire qu’en peinture les couleurs primaires sont « rouge, bleu et jaune » ne signifie donc pas grand-chose tant que l’on n’a pas défini clairement quelles couleurs étaient associées aux noms « bleu » et « rouge » : il est plus juste de les nommer « magenta, cyan et jaune » comme c’est fait sur les tubes de peinture de cette image.

Les cas particuliers du noir et du blanc

Comparaison photos en noir et blanc et en couleurs

Deux autres couleurs posent un problème d’une autre nature : le noir et le blanc. Il ne s’agit pas d’un problème de nom (nous sommes tous d’accord pour les nommer noir et blanc) mais pour beaucoup de personnes, le noir et le blanc ne sont pas vraiment des couleurs. En photographie ou au cinéma, on oppose d’ailleurs le « noir et blanc » à la couleur. Dans son livre « Noir, histoire d’une couleur », l’historien Michel Pastoureau explique comment le noir et le blanc ont pendant un temps perdu leur statut de couleur. Cela aurait commencé au 15ème siècle avec l’invention de l’imprimerie, où l’on s’est mis à représenter le monde en noir et blanc, notamment avec les images gravées. Le phénomène se serait ensuite amplifié au 17ème siècle avec les découvertes d’Isaac Newton sur la nature de la lumière : le noir et le blanc n’étant pas dans le spectre de la lumière, ils ne faisaient plus partie de la classification des couleurs. Et si ces deux couleurs ont été largement réhabilitées depuis par de nombreux artistes (voir par exemple les célèbres noirs de Pierre Soulage), l’idée que le noir et le blanc ne sont pas vraiment des couleurs est encore très répandue. Pourtant, puisqu’une couleur est une sensation physiologique liée à la réaction de notre système visuel face aux composantes spectrales de la lumière qu’il reçoit, on ne voit pas pourquoi ces deux couleurs auraient un statut différent (on peut « peindre » un objet en noir ou blanc comme on peut le peindre en rouge ou jaune !).

Couleurs « lumière » versus couleurs « matière »

Comparaison entre un filtre cyan, et une zone cyan d'un écran d'ordinateur (spectres et photos)

Le fait de nous mettre d’accord sur les noms donnés aux huit couleurs principales que vous retrouvez régulièrement sur les pages de ce site ne résout pas tous les problèmes. En effet, les couleurs des carrés précédents sont générées par l’écran lumineux que vous regardez en ce moment (smartphone, ordinateur, tablette). Elles sont obtenues par un mélange de lumières rouge (R), verte (V) et bleu (B) et correspondent chacune à un codage RVB bien précis. Par exemple, le cyan est obtenu par un mélange de lumières verte et bleue, il correspond au codage (0, 255, 255). Mais dans les pages consacrées aux matières colorées, nous appelons « cyan » la couleur d’une matière (filtre en plastique, peinture, encre d’imprimante, etc.) qui présente la particularité d’absorber la composante rouge de la lumière. Or ces deux couleurs, le « cyan lumière » et le « cyan matière », ne sont pas strictement identiques, même si on utilise des écrans et des matières colorées bien calibrés. Pour illustrer cette différence, nous montrons ici la photo et le spectre de la lumière renvoyée par un filtre cyan posé sur une feuille de papier blanc à la lumière du jour, ainsi que la photo et le spectre de la lumière émise par une zone cyan d’un écran d’ordinateur. On comprend alors pourquoi il est si difficile d'obtenir une reproduction fidèle des images numériques depuis un écran vers un support papier.

Utilisation de nuanciers

Pour contourner ces difficultés, les professionnels, qui doivent pouvoir nommer très précisément les couleurs matières qu’ils utilisent, font appel à des nuanciers, dans lesquels un grand nombre de couleurs sont définies et identifiées par un numéro et/ou un nom. Par exemple, le nuancier allemand RAL, utilisé en peinture dans les domaines du bâtiment et de l’industrie, répertorie 213 couleurs, réparties en 9 gammes de tonalités différentes.

Nuancier RAL

Le nuancier Américain Pantone, utilisé par les graphistes et les professionnels de la décoration et de la mode, définit quant à lui 800 couleurs, dont certaines sont célèbres (par exemple la couleur « Pantone 123 C » n'a rien à voir avec 123 Couleurs : c'est le jaune officiel du Tour de France !). À noter que ces nuanciers nécessitent généralement une impression particulière : pour le Pantone par exemple, 10 colorants de base sont nécessaires, et non 4 comme dans la quadrichromie classique CMJN (Cyan-Magenta-Jaune-Noir).

Les noms des couleurs : un problème également culturel

Pour finir, il ne faut pas oublier que les noms que l’on donne aux couleurs dépendent fortement du contexte environnemental et culturel dans lequel on vit. Les Inuits par exemple disposent d’un grand nombre de noms pour évoquer les différentes nuances de blanc qu’ils rencontrent dans leur quotidien enneigé, là où nous n’en avons en pratique qu’un seul (le « blanc »). Autre exemple avec le nom « bleu » qui est étonnamment absent des textes de la Grèce antique. D’après Michel Pastoureau dans son livre « Bleu, histoire d’une couleur », cela ne veut pas dire pour autant que les grecs étaient aveugles au bleu, ni même que le bleu tel que nous le définissons aujourd’hui n’existait pas (le ciel était bien sûr déjà bleu !), mais simplement que cette couleur n’avait pas à l’époque l’importance sociale qu’on lui connait aujourd’hui.